Entraînements de Valse

C’est un après-midi d’été, chaud comme on peut l’espérer, et avec ce flegme qui nous ferait presque croire que la crise n’est qu’un lointain fantôme, un conte pour enfants sordide. On trouve un peu de fraîcheur dans les écuries. Celles du domaine public sont fermées, et je frissonne légèrement. Moi qui ruisselais en débardeur suis obligée de passer un gilet. Rares sont les chevaux qui ne sont pas montés en ballade ou au pré. Parmi ces derniers vaillants dans leurs boxes, se trouve ma jument, Alice. C’est une splendide selle-française de 5 ans, un bijou né de l’éthologie et de la patience. Ma grande championne.

On ne se connaît pas depuis beaucoup de temps, mais on n’a pas mis longtemps à s’apprivoiser. Bien sûr, pour nouer une véritable relation, il va falloir un peu plus de temps, mais je suis très optimiste. Alice est vraiment la jument de rêve. En m’entendant, elle sort sa tête du box et tends vers moi sa longue encolure. Je la flatte avant d’entrer dans son espace privé. Elle me cède le passage. Brave fille.

Pendant le pansage, Alice grignote la paille de son box et me laisse la frotter. Je vais doucement sur les flancs, j’ai remarqué qu’elle n’aime pas trop ça. Pour les petits bouts de terre accrochés aux poils près de ses mamelles –endroit sensible-, j’y vais avec la main, tout doucement, en guettant ses réactions. Elle me surveille mais reste très calme. Une fois ce travail un peu plus délicat achevé, je la gratte derrière les oreilles. Je sens ma beauté qui se détend. C’est sa gratouille favorite.

Je l’équipe avec sa selle et son filet. C’est un équipement mixte, basique, mais je sais la valeur des choses et je suis plus qu’heureuse de les avoir. Vendus avec la jument ! Vous y croyez, vous ? J’emmène ma jument dans la carrière, fraîchement humidifié. Par un temps pareil, ce serait un crime d’aller s’enfermer dans un manège !

Je détends ma jument au pas. Du pas de repos, rênes longues, je la remonte au pas de travail. Souvent, les gens ne vont pas chercher plus loin qu’un pas dynamique, parce qu’ils ne voient pas cette allure comme importante. C’est, à mon sens, une grossière erreur. Je profite de cette allure pour commencer à assouplir et courber ma jument. Elle vient progressivement chercher le mors. Le dressage est assez nouveau pour elle, mais quand elle vient mâchonner son mors, je la félicite. Alice apprends vite.

Je me met en position pour la mettre dans les rênes. Pour l’aider à s’installer, je la fait s’incurver sur un demi-cercle, puis chasse les hanches. Enfin, je la remets droite. On refait ça une ou deux fois, et ma jument soutient son dos et courbe son encolure. Je reconnaîtrais cette sensation entre mille : Alice est dans les rênes. Je félicite, et on part au trot. Un départ net, une cassure au trot.

J’enchaîne quelques transitions dans l’allure, puis des transitions franches trot/pas – pas/trot – trot/arrêt – arrêt/trot. Je cherche la netteté. Ces exercices sont simples, le but est de poser les bases et habituer la jument au dressage. Comme en éthologie et en western, je porte mon poids du corps vers l’avant pour aider la jument à s’arrêter. Une fois échauffée au trot aux deux mains, on fait une petite pause, puis on réenclenche et  je la lance au galop.

Là, même boulot, mais un peu plus compliqué pour elle de passer du galop à l’arrêt et de l’arrêt au galop. Elle cherche à partir sur son avant-main. Je la fait donc réduire son galop sur une volte que je serre de plus en plus en utilisant ma jambe extérieure pour incurver ma monture sans qu’elle puisse ‘fuir’ avec les hanches. Alice se soutient bien, et moi je me grandis, je met mon poids du corps vers l’arrière pour la pousser à aller se poser sur son arrière-main.

Après ces petits exercices, ses transitions sont bien meilleures. La chaleur est étouffante et je ne pense pas faire une séance très longue. Néanmoins, je prends le temps de la faire galoper à faux aux deux mains pour l’assouplir. Je ne tente pas la volte à faux, elle est encore assez novice et je ne veux pas la brusquer. Je lui fait faire une extension d’encolure au trot pour qu’elle puisse venir étirer son dos. On repasse au pas et je la marche pour qu’elle souffle et récupère.

On fait une ballade tranquille, les rênes assez longues pour qu’elle en profite bien. Alice est impeccablement éduquée, elle reste au pas, n’a peur de rien et ne va pas tenter de s’arrêter pour brouter. En revanche, elle grappille quelques feuilles au passage, mais je ne l’en empêche pas. Entre le vrai travail et une détente, elle sait faire la différence, ça ne risque pas de nous compromettre plus tard en cross ou en endurance.

Une bonne douche et je lâche ma jument au pré avec ses compagnons. Elle en profite pour se rouler et se remplir la panse sous mon regard attendrit. Rassurée sur son sort, je ramasse mes affaires et repars.